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TCHAD | AU FIL DES JT TCHAD 19 SEPT 2011 SUR TCHADONLINE.TV

 
L’on se souviendra que le nom de Mata-Léré, localité inconnue du Sud-ouest du Tchad, pauvre parmi les pauvres hameaux ruraux, avait défrayé la chronique sur les médias nationaux et étrangers, suite à une série de meurtres impliquant une milice locale, la chefferie et l’administration.
La première séquence de ce feuilleton sinistre fut l’assassinat puis l’incinération d’un chef de village et de trois de ses compères par une milice d’autodéfense le 13 septembre 2011 à Mata, au motif : ces derniers étaient accusés d’être commanditaires, co-auteurs et/ou complices des enlèvements d’enfants contre rançons par des groupes de malfaiteurs transfrontaliers (Tchad-Cameroun) très actifs depuis une décennie dans la région. 


ARCHIVE | TUERIE A MATA LERE AU MAYO-KEBI OUEST PAR  tchadonline
La deuxième séquence : « Le 16, la gendarmerie arrive sur les lieux et arrête au moins 47 personnes. détenues dans une cellule de 3m2 chacune, Neuf ont trouvé la mort. Un 10e est mort ce matin [du 3 oct. 11, ndlr] à N’Djamena. » selon Droits de l’Homme Sans Frontières (DHSF) ;
Troisième séquence : publication le dimanche 2 oct. 11 par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, du rapport d’autopsie réalisé grâce aux soins d’un laboratoire spécialisé de Yaoundé au Cameroun, rapport qui, selon DHSF « a confirmé en grande partie ce qu’on savait et attendait surtout concernant les mauvaises conditions de détention. Ce qui a entrainé la mort de ces neufs (9) détenus qui pourraient d’ailleurs être des innocents à l’’exemple de Bouba Hassane enseignant qui passait par Matta pour son poste et qui a été arrêté et décédé en détention le 17 Septembre 2011… » ;
Quatrième séquence : transfert manu militari des prévenus, dont beaucoup à moitié nus, depuis la sinistre prison de Léré vers celle de N’Djamena, soit à 500 km de route des lieux des infractions ; un second enseignant y trouvera la mort en détention arbitraire.
Séquence intermédiaire : sous l’égide du chef de race moundang de N’Djamena, l’honorable Maouli Daniel, des réunions se tiennent en urgence au centre diocésain Don-Bosco de N’Djamena pour mobiliser auprès de la communauté des ressources et des vêtements aux fins de venir en aide aux détenus qui vivaient dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes ; des avocats seraient commis pour leur défense.
Autres séquences : visites successives de Ministres et personnalités de la région du Mayo-Kebbi à Mata pour s’enquérir de la situation et pour « apaiser les esprits » semble-t-il, quelques libérations de prévenus à N’Djamena et début des attaques en règles entre les mouvances politiques ennemies;
Dernière séquence : tentative de levée de l’immunité parlementaire du député Saleh Kebzabo, chef de file de l’opposition politique tchadienne, pour diffamation dans la gestion du dossier de Mata-Léré, selon les médias et les intéressés (parti UNDR), etc.
Ce bref rappel, pour rafraîchir la mémoire des lecteurs, mérite maintenant qu’on crève les abcès sur ce dossier Mata-Léré qui est une honte pour la république, l’Etat de droit et la démocratie tchadienne ! En effet, sans chercher à se ranger derrière tel ou tel autre (ce qui n’a aucune importance pour le sort des populations victimes !), nous voulons mettre en exergue toutes les leçons à tirer de cette saga politico-tragico-comique autour des évènements de Mata-Léré, et surtout de la réalité de la gouvernance locale et des responsabilités des uns et des autres.
Les évènements de Mata-Léré ne sont pas un fait isolé sporadique : des Ongs et des officines associatives disposent d’assez d’éléments sur les nombreux cas antérieurs qui se cumulent depuis une décennie dans toute la région du Mayo-Kebbi ouest en particulier, et qui ont occasionné des morts (enfants exécutés, assaillants ou habitants tués) et ont délesté de pauvres paysans de plus de 200 millions de FCFA de rançons et de contre-rançons qu’ils étaient obligés de payer pour libérer leurs progénitures ou pour se taire.
Le phénomène de prise d’otage n’a jamais existé dans les traditions locales, ni à l’époque précoloniale, ni sous la colonisation, moins encore après : c’est un phénomène récent lié à la généralisation de la mal-gouvernance et à l’insécurité ambiante, d’où le désarroi des populations qui ne savent à quels saints se vouer. Ce phénomène est une manifestation du crime organisé qui fait de plus en plus recette dans notre pays et bouleverse nos bonnes mœurs séculaires.
Qui sont les preneurs d’otages ? C’était apparemment au départ des personnes liées à la garde des troupeaux et qui avaient facilement connaissance du cheptel des habitants de toute la région, d’où la facilité de cibler les familles susceptibles d’être attaquées. A ces personnes « locales » se sont joints de vrais bandits de grands chemins, spécialisés dans la rapine à main armée et sévissant sur les deux côtés de la frontière artificielle et poreuse tchado-camerounaise.
Qui sont les commanditaires ? Avec le poids des traditions dans cette région, il est difficile d’admettre que les preneurs d’otages puissent réussir à instaurer cette pratique inédite seuls, sans être hautement parrainés. En effet, rien ne peut se faire qui ne soit connu. Très tôt, et il y a eu beaucoup de preuves dans des cas passés, des chefs de villages notamment ont fourni leur assistance aux malfaiteurs en mettant à leur disposition les armes à feu qu’ils détenaient légalement : en échange, ils recevaient « leurs parts » des produits de la rapine effectuée. Pour se protéger eux-mêmes, ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour brouiller la piste des malfaiteurs, voire même couvrir leur évasion en cas d’arrestation en flagrant délit par des comités locaux spontanés d’auto-défense des paysans. L’implication d’une partie de la chefferie locale de la région dans le phénomène de prise d’otage est quelque chose d’avéré et tellement évidente dans ces contrées, que seules la crainte et le respect exigés par la tradition aux chefs étouffe encore dans la dénonciation publique de ces crimes et forfaits.
Qui sont les premiers bénéficiaires ? Ce sont évidemment ces chefs véreux impliqués dans les réseaux criminels de la prise d’otage et pas seulement. Il faut craindre que les autres formes de trafics mafieux et criminels de la fausse monnaie, de la drogue et des engins volés n’utilisent aussi les mêmes canaux pour sévir. En effet, la position frontalière stratégique de cette région, près du Cameroun et du Nigéria, d’où proviennent la plupart des biens de consommations en circulation sur le marché intérieur tchadien, favorise cette tentation grandissante du gain facile. Les évolutions socioéconomiques et culturelles de ces deux dernières décennies au Tchad et dans la sous-région ont privé la chefferie locale d’une partie de ses sources traditionnelles de financement. Les chefs sont obligés de travailler durement la terre, comme les autres, pour préserver leur autorité et leur dignité sur « leurs sujets ». Certains préfèrent donc les raccourcis du gain facile pour s’en sortir et n’ont pas hésité à expérimenter la connivence avec ces réseaux criminels à cette fin. Sur ses antécédents connus, le défunt chef de village de Mata-Léré ferait partie de cette clique de chefs impliqués dans cette honte !
Cependant, il y a des chefs qui résistent à la tentation et qui ont même réussi à contrer le phénomène dans leur terroir, à l’exemple du Gong de Guegou Sa Majesté Bertin Bervourba, jeune chef qui avait réussi à démanteler un réseau l’an dernier, suite à une prise d’otage dans son canton, et avait fait livrer au préfet du département de Lac Léré un gendarme commanditaire et lié à l’acte de la prise d’otage échouée en question. Donc, quand certains accusent l’institution de la chefferie, ils ne brisent pas un tabou et ne font pas de la calomnie, parce que, s’il faut réellement faire la lumière sur chaque cas, l’on finira bien par mettre à jour la liste des chefs véreux de ce trafic d’êtres humains honteux et laver l’image dégradée de la chefferie locale !
Qui sont les autres bénéficiaires ? Personne ne peut ne pas être sensible à la prise en otage répétée d’enfants. Aussi, les bandits et leurs commanditaires et/ou complices certains chefs, ont besoin d’une forte couverture pour s’assurer de sévir en toute impunité. Et c’est vers certains administrateurs véreux qu’ils vont se tourner à leur tour. Ainsi, ils procèderont de deux manières : soit « mouiller la barbe » à l’administrateur en question (préfet, sous-préfet, chef de brigade de gendarmerie) en amont dans un cas avéré, pour qu’il soit ignoré et étouffé, soit que l’administrateur et le chef traditionnel, de connivence ou chacun de son côté, s’arrangent pour exiger à leur tour aux familles éprouvées le paiement d’une contre-rançon, en les menaçant pour avoir payé la vraie rançon aux preneurs d’otages. Ainsi, il est arrivé que les victimes paient doublement et sans aucun recours local possible par l’actionnement des instruments légaux (administration, justice).
Les faux arguments de la manipulation : Le grand malheur de cette région du Mayo-Kebbi ouest, c’est le fait d’être otage et victime d’une situation de guerre politico-mafieuse entre deux courants rivaux depuis près de deux décennies de « démocratisation ». En effet, le pouvoir actuel nourrit un préjugé défavorable envers cette région, pour le fait qu’il ne réussit pas à l’assujettir à sa liste de régions acquises. Parce que la population vote toujours majoritairement à gauche, au lieu d’évaluer objectivement ses moyens et méthodes de conquêtes politiques défaillantes utilisés depuis pour la conquête de l’opinion locale, le pouvoir se verse constamment dans la rhétorique du sabotage et de la manipulation de sa « bête noire » locale. Avec ce préjugé bien inculqué, les choix des administrateurs affectés localement et l’importance donnée aux doléances légitimes des populations trimant dur avec une nature difficile ne sont plus traités avec objectivité mais passion et aveuglement. Dès que surgit un évènement somme toute normal de conflit (entre éleveurs-agriculteurs, entre cantons, etc.), la fameuse main « noire » de l’opposant ennemi de toujours est mise en exergue et bonjour les dégâts ! Ceux qui se chargent d’intervenir politiquement sur ces dossiers ne le font pas pour résoudre le problème tel qu’il se pose réellement, mais avec la prétention de « couper » une fois pour toute cette main du « diable » opposant qui serait derrière tout. C’est délirant et choquant, quand on sait qu’une frange de la population et de l’élite, et non des moins méritants, ne se reconnaît ni dans les uns ni dans les autres de ces deux camps de gladiateurs « romains » ! Et nous allons le démontrer dans le cas d’espèce des évènements de Mata-Léré.
Voici quelques questions incontournables qui méritent des réponses sans détour à l’opinion tchadienne :
Pourquoi les autorités de la République gèrent-elles l’émotion et non les faits ? On a présenté les cendres des quatre personnes tuées par des membres d’un groupe d’auto-défense (leurs propres parents) toléré semble-t-il par une autorité administrative autorisée et le parti-pris du gouvernement est alors évident. D’autant plus que, sans approuver cet acte criminel, l’on a semblé minimiser et justifier les morts survenus par étouffement dans la prison de Léré et dont la preuve formelle de l’implication individuelle et du flagrant délit n’a jamais été établi ? A ce stade là, la situation n’était-elle pas suffisamment critique pour arrêter les dérapages des uns et des autres (autorités et population ?) ?
Malheureusement, comme si l’on avait trouvé enfin l’occasion de « couper la main noire de l’opposant ennemi », les dérapages vont se multiplier : on va transférer des gens pris, non pas en flagrant délit mais suite à un meeting, venus torses nus de leurs champs des environs, à plus de 500 km de là, alors que le cas relève de la juridiction pénale de Pala (à Moins de 100 km de Léré) et de Moundou en appel. Que cherchait-on ? La route de Koro Toro ? Même qu’ils soient pris en flagrant délit, cela se comprendrait toujours mal que ces paysans en guenilles soient si dangereux les mains nues qu’il faille opérer un tel transfert ?
Tout compte fait, ce n’est pas une seule femme mais près d’une vingtaine, toutes parentes qui ont perdu leurs époux dans cette saga satanique ! Et c’est vraiment dommage que d’utiliser les larmes de certaines contre d’autres femmes qui s’interrogent aussi sur les raisons de ce grand malheur qui les frappent ! Cette façon de procéder n’est ni de la justice ni de la compassion : ça s’appelle semer sciemment les germes d’une haine interfamiliale qui s’éteindra difficilement et dont personne n’en a besoin pourtant !
Les évènements de Mata-Léré n’avaient rien à voir avec la rivalité politique locale, mais on a vite fait de les y rattacher par des subterfuges : en effet, en examinant objectivement le phénomène de la prise d’otage contre rançon qui sévit depuis une décennie dans cette région, même si certains des commanditaires et/ou complices au col blanc locaux revendiquent l’impunité au titre de leur militantisme dans l’un des camps rivaux, cela ne saurait être un conflit politique. Les problèmes de la mal gouvernance administrative, sécuritaire et traditionnelle locale sont les mêmes que dans d’autres contrées du Tchad, avec une touche locale. Alors qu’on cesse de vouloir embarquer une pauvre population ignorée et la partie non partisane de son élite dans cette guerre de clans politiques dont nous avions déjà trop soufferts ! Que les hommes de pouvoir cherchent d’autres motifs pour la mise en examen et la disqualification de leurs rivaux politiques et éviter d’en rajouter dans ce drame terrible de Mata-Léré qui n’est que la face visible de l’iceberg de ce que cette région souffre !
Que veulent les politiciens de la région ? On fait de la politique parce qu’on a des idées et des projets à partager avec les autres. On fait de la politique dans sa région d’origine, dans un pays divisé comme le Tchad, parce qu’on voudrait la voir s’émanciper, se développer et être un havre de paix pour toute la nation tchadienne. Pourquoi durant cette ère dite de liberté et de démocratie, il a été systématiquement impossible de mener à terme une initiative communautaire de développement social, économique ou culturelle ? Pourquoi tout devrait finir toujours dans le déchirement, la controverse ? Quelles sont ces contre-valeurs que vous aviez réussi à inoculer comme un venin au sein des communautés, au point que les rapports n’aient jamais été aussi malsains et lourds de toute notre histoire commune ? On parle des Moundang, alors que la majorité des gens de Mata et alentours peinent à se faire reconnaître leur identité Guidar ? Pourquoi cet esprit « néo-colonialiste » locale qui fait ignorer sur la scène politique et publique que notre région est peuplée, outre les Moundang, d’autres groupes apparentés aussi importants tels que les Guidar, les Mombayes, les Foulbés, les Erdés, sans compter les autres ? Au-delà de la musique désuète et agaçante MPS-UNDR, quand allons-nous faire notre propre autocritique pour nous ressaisir collectivement ? Allez dire que nos propos sont une tentative de division, comme si nous ne le sommes pas encore assez ?
Cette région du Mayo-Kebbi a beaucoup donné au Tchad : des cadres honnêtes et patriotes, des populations laborieuses qui ont grandement financé le développement de ce pays. Il est de notoriété publique que c’est le coton cultivé par les paysans de cette région qui subventionne le prix officiel de cette rente pour permettre au coton d’ailleurs d’être vendable sur le marché international : qu’est-ce qu’ont tiré les paysans du Mayo-Kebbi de ce sacrifice de plus de soixante années d’exploitation cotonnière ? Au plus fort de la guerre civile en 1979, les populations de cette région ont accueilli et protégé les fugitifs venus d’ailleurs, ce qui leur vaut encore une haine larvée de certains milieux revanchards et séparatistes : que leur offre en retour aujourd’hui la République pétrolière avec le retour de la paix ? Comment cela se fait-il aujourd’hui que ceux qui portent les valeurs contraires aux grandes traditions d’honnêteté, d’hospitalité, de fraternité et de solidarité ont acquiert la facilité de s’agiter sur la scène politique locale avec des prétentions manifestement au-dessus de leurs mesures ? Vraiment, les jeunes générations ont ras-le-bol de cette situation sans issue, de ce cercle vicieux où nous sommes tous pris en otage d’un délire collectif qui ne dit pas son nom !
Si le gouvernement pouvait nous comprendre, qu’il accepte de marquer une pause dans cette gestion scabreuse du dossier de Mata-Léré et similaires : qu’il laisse le temps calmer les esprits et les bonnes synergies locales se mettre en branle pour redresser la situation de la gouvernance et des mœurs publiques locales gravement dégradées. Cela ne sert à rien de forcer, parce que c’est à défaut que les gens sont balancés entre les deux camps politiques ennemis. Petit à petit, la maturité populaire et le réveil de la jeune élite se font jour !
Pour la chefferie traditionnelle, elle doit comprendre qu’à cette allure, elle est menacée à moyen et à long terme si le processus actuel de décentralisation et de modernisation prenait ancrage dans le monde rural. Ce n’est pas en validant une nouvelle « tradition » naguère inconnue qu’est la prise d’otages contre rançons que certains chefs sauveront leurs privilèges. Et ce n’est pas la couverture politique ou administrative qui leur assurera la légitimité de leur autorité et l’impunité. S’ils veulent réellement respecter l’esprit de la chefferie traditionnelle de cette région, qu’ils se réconcilient avec les valeurs qui avaient conduit les clans à conférer l’autorité à leurs illustres ancêtres royaux, pas autrement ! Car l’esprit de la chefferie traditionnelle de cette région n’a jamais été prédateur mais plutôt régulateur dans les rapports et la vie quotidienne des populations. Si un membre de cette famille régnante, « ma famille » dirions-nous, ne partage plus les valeurs fondatrices de l’autorité légitime, qu’il ne s’insurge pas en oppresseur, en commanditaire ou complice de vulgaires voyous pour quelques pécules ensanglantés ! Ainsi, nous passerons sans encombre la transition vers la modernité et nous serions toujours en référence pour nos concitoyens.
Voilà notre longue plainte et que Dieu nous délivre des servitudes, des aveuglements et des haines de ce cinquantenaire finissant !
MEILLEURS VŒUX A TOUS CEUX QUI PRENDRONT SOIN DE NOUS LIRE JUSQU’AU BOUT !
Enoch DJONDANG