J’arrive à l’heure prévue au domicile du chef d’opposition. Le neveu qui m’attendait dans la cour, me conduit directement au salon où se trouve son oncle et il nous laisse seuls. Après les salutations, l’oncle me demande de prendre place. Il a l’air crispé, ce qui me laissa pressentir un mauvais présage, car d’habitude il est assez jovial. Notre entretien commence sans transition. Je vous fais l'économie du contenu de notre entretien à huis clos car le message que le chef m’a transmis, les questions qu’il m’a posées et les réponses que j’ai fournies ne sont plus d’actualité aujourd’hui. Je prends congé du chef et regagne la cour où je fais mes ablutions pour la prière du crépuscule. Après quelques salamalecs avec certains jeunes qui sont dans la cour, je quitte dans l’intention d’aller prier à la mosquée voisine et continuer à la maison.

Mais c’était sans compter avec le destin humain tracé par le Tout-Puissant. Je n’imaginais pas que les minutes qui suivent vont influer à jamais sur mon destin. A peine 30 mètres après le domicile de l’opposant tchadien, une voiture berline me barre le passage. Je m’arrête. Aussitôt quatre gros gaillards, genre tueurs à gage dont la seule vue vous donne la chair de poule, descendirent du véhicule, en fermant bruyamment les portières, manière de vous glacer le sang et vous terroriser immédiatement. Ils étaient tous habillés en civil. Parmi eux, j’ai reconnu un agent des services secrets soudanais chargés du dossier tchadien. Ils m’intimèrent un ordre sec de les suivre. Ordre donné de la manière qui vous enlève toute volonté de tenter une quelconque résistance ou une dérobade. Ils ajoutèrent que leur directeur (AL MOUDIR) voudrait me voir. Ayant fait un grand effort pour maitriser ma peur, j’ai refusé de les suivre et monter dans leur voiture. C’est alors que d’une seconde voiture banalisée, garée non loin de la première et à laquelle je n’avais pas prêté attention, descendirent trois autres molosses pour venir porter appui à leurs compères. J’ai définitivement compris que toute résistance est vaine, et suicidaire toute tentative de fuite. J’ai pris tranquillement place dans le premier véhicule. Après 20 minutes de trajet, nous arrivons au quartier Bahri où se trouvent les bureaux du général Guirechabi, le « Monsieur Tchad » du Soudan. Dès que je sortis du véhicule, on m’a arraché avec une brutalité inouïe mon téléphone portable et ma carte d’identité nationale tchadienne. Il était environ 18h30. On me fait garder dans l’antichambre de la réception pendant plus de 3 heures d’horloge. Soudain, un des gardiens me retira mes lunettes et me banda les yeux avec un turban marron. On m’entraina manu militari dehors et on me jeta dans un véhicule qui démarra aussitôt. Il faisait une nuit très noire, ces nuits d’Afrique qui ne vous laisse distinguer rien, à quelques mètres de distance. Mais comme j’avais les yeux bandés, dans tous les cas, je ne cherchais même pas à deviner dans mon imaginaire mon environnement externe. La voiture démarra en trombe et après une course dans la nuit de la capitale soudanaise qui a duré une dizaine de minutes environ, on s’arrêta. On m’a fait sortir du véhicule, les yeux toujours bandés et encadré par des gros malabars dont je devinais la masse et la robustesse par la proportion de leurs grosses mains qui me tenaient énergiquement les bras et on monta ensemble un escalier qui nous conduisit au premier étage de ce qui m’a semblé être un immeuble. On m’ordonna de m’assoir. Je me suis exécuté sans aucune résistance. Quelqu’un me retira le turban qui jusque- là me couvrait les yeux. Et j’en profitai pour ouvrir les yeux pour inspecter tout ce qui m’entourait et regarder ce qui se tramait autour de moi. Mais un gaillard, très noir de teint, m’ordonna de manière sèche de fermer immédiatement les yeux. Il me gronda en ces termes : « qu’est-ce que tu regardes ? Veux-tu nous reconnaître n’est-ce pas? Alors tu nous connaîtras, tu nous connaîtras, tout de suite juste dans un instant». Ensuite on me couvrit les yeux, cette fois ci avec une bande élastique noire et on me passa des menottes aux mains. J’ai compris que ma situation est en train de s’aggraver sensiblement. A cet instant mille et une questions me traversèrent l’esprit, dans un désordre absolu. Une idée me traversa mais sans qu’elle ait fait son chemin une autre vient la chasser et ce à une très grande vitesse. Toutes les 10 minutes environ, on me retire la bande noire qui me couvrait les yeux et qui me serrait atrocement le pourtour de ma tête. A chaque fois une personne différente venait me demander mon nom. Après plusieurs heures de ce début de torture à la soudanaise, tous les individus qui m’interrogeaient ont regagné leur bureau. Une des agents des services de renseignement soudanais s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille : «Adam, ne t’en fais pas, ne crains rien, ils ne vont pas te faire du mal ; c’est juste de l’intimidation». Je lui réponds calmement et sereinement que tout est entre les mains de Dieu. En tout cas pour de l’intimidation s’en est bien une !

Quelques temps plus tard, je commençais à perdre toute notion du temps, un monsieur vint me retirer des yeux la bande noire qui les recouvrait et me serrait atrocement la tête. Il s’assit devant moi sur une chaise et tenait dans ses mains un long formulaire. Le monsieur était calme mais il me posa une multitude des questions sur ma vie : Noms (jusqu’au 6ème arrière-grand-père), date et lieu de naissance, nationalité, ethnie, noms du père, de la mère, des femmes et des enfants, formation coranique, scolaire et académique ; fonctions occupées, pays visités, date d’entrée au Soudan, etc. Après environ une heure d’interrogatoire serrée, on passa à la prise des photos. On me prit plusieurs photos, dans tous les profils. Une séance de prise de photos digne d’un film policier américain. Ensuite, on me délesta de tous les objets personnels (lunettes, bonnet, argent, etc.). Entrèrent alors dans le bureau de l’interrogatoire deux jeunes hommes que je qualifierai même de sympathiques en comparaison aux malabars qui m’ont enlevé muni-militari et m’ont conduit ici. L’un tenait des menottes et la fameuse bande noire qui couvre les yeux et me serre atrocement la tête, l’autre tenait une AKM (Kalachnikov). Au vu de la bande noire, j’ai tout de suite compris qu’ils venaient pour moi. Après un bref échange avec les responsables du bureau, les deux jeunes vinrent me changer les menottes, me couvrirent les yeux avec la même bande et me conduisirent en bas. Ils me jetèrent dans un minicar où on me passe d’autres menottes, cette fois aux pieds, en plus de ceux des mains et la voiture fila, dans l’obscurité, vers une destination inconnue. Environ un quart d’heure plus tard, le véhicule s’arrêta et on m’ordonna de descendre. On me retira la bande noire des yeux. Je me suis retrouvé en face d’un mur d’environ 5 mètres de haut, jalousement gardé par des hommes en armes. On me poussa brutalement vers la grande porte d’entrée, mains et pieds menottés. Quand nous accédâmes à une grande cour, on me retira les menottes des pieds et on se dirigea vers un coin de la cour où se trouve une pièce qui sert d’infirmerie. L’infirmier me demanda si je souffre d’une maladie spéciale telle que diabète, cancer, goûte, etc. je réponds négativement. Alors il me prit du sang et nous libera, mes geôliers et moi. Les consultations médicales achevées, nous quittâmes l’infirmerie et marchâmes environ 50 mètres à travers 3 portes. La troisième porte aboutit à une cour où se trouvent les cellules de la prison des services secrets. Là, on me retira les menottes des mains. On me conduisit dans un compartiment à deux cellules où on me fait entrer dans la pièce du fond. Avant que mon geôlier ne ferme la porte, je me permis de lui demander si je pouvais faire mes ablutions et avoir un Coran. Il accéda à ma demande sans hésiter. Ainsi commença mon séjour à la tristement célèbre prison soudanaise de KOBER !

Adoum Erdi Betchi